renfo

Moins sexy qu'hier

Trop beau pour réviser 🙈

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Sortie pas (du tout) rentable 😅

Il y a des réveils qui sont plus durs que d'autres. Et si celui du jour sonne à 4h20, il n'est pourtant de loin pas le plus compliqué. Car ce réveil-là, je l'attends depuis 2 ans. 2 ans que j'ai découvert cette cyclo de l'Alsacienne, et que j'attends d'avoir l'âge requis d'y participer. Alors aujourd'hui je n'y tiens plus : ce réveil là sonne mon heure à moi. 
Le temps d'avaler un rapide petit déj, et me voilà en route, pour la première fois seul, mon vélo serré contre moi dans la voiture de Maman. Tout va très vite ensuite, et j'ai à peine le temps d'admirer les premières lueurs du jour sur le lac de Kruth et de discuter avec Raphaël du club, que nous voilà déjà au départ. Je dis "nous", car je ne suis pas seul, loin de là. Combien sont-ils ? Pas des dizaines, non, ni des centaines : c'est bien des milliers de cyclistes qui s'entassent au départ, telle une immense fourmilière. Bien placé sur la ligne, je ne parviens même pas à voir l'entièreté de ce peloton qui n'en finit plus. 
A 7h30 pile, un coup de fusil sonne le départ du jour. Au programme : 3 parcours au choix, 100, 145 ou 170 kilomètres. Le mien est déjà arrêté : ce sera le 145, le plus dense, avec pas moins de 3600 mètres de dénivelé. De quoi annoncer une belle journée... de souffrance. Enfin, pas pour l'instant, car les premiers cols du jours (Oderen, Page, Bussang), gravis à rythme modéré (sauf quand Enzo Zehler mets des mines au pied...) sont surtout l'occasion de discuter avec des copains, Martin, Julien, ou encore le néo retraité Yoann. De quoi donner le sourire avant d'attaquer les choses sérieuses !
Et celles-ci se dressent, déjà, devant nous. Car nous atteignons au son d'une fanfare le petit village de Saint Amarin, petit village qui pourrait être un village oublié parmi tant d'autres dans cette vallée de Thann s'il n'était pas au pied d'une des plus rudes ascensions des Vosges : le Haag ! 12km à près de 8% de moyenne, c'est une montée que je connais bien pour y avoir réalisé la grimpée organisé ici en 2023 comme en 2024. Que j'affectionne, aussi. Enfin, sauf quand un broyeur de pédale nommé Eliott monte avec moi. Ou plutôt non, broyeur n'est pas le bon mot : il les caresse, les pédales. On a l'impression qu'il grimpe comme une plume, sans forcer, mettant tout le groupe au supplice. D'une facilité déconcertante, il "fait le ménage" dans notre groupe, puisqu'au sommet, alors que nous sommes accueillis par les cloches et les encouragements notamment de Thomas de Buhl, notre groupe ne compte plus que ... 3 unités. Eliott donc, moi et un certain Corentin. De quoi pouvoir bien tourner à présent sur la route des Crêtes.
Ce moment de transition est aussi celui des stratégies. Car n'importe quel coureur peut choisir à tout moment de changer de parcours. Et si mes 2 acolytes possèdent sur le dossard le nombre "170" indiquant leurs distances choisis initialement, ils sembleraient que l'un comme l'autre veuillent finalement se tourner vers "mon" parcours. Autant dire que cela va être une belle bataille... quoique. Les faits de course vont mettre un terme aux discussions en tête de course, et, une fois n'est pas coutume, ceux-ci vont tourner en ma faveur. Alors que nous venons d'entamer la descente du Markstein, Corentin décide ... de faire demi tour après avoir raté le ravitaillement ! Mais je ne suis pas au bout de mes surprises, puisque au 1er virage à gauche, dans lequel nous arrivons pleine balle, Eliott fait littéralement un tout droit. Et s'il arrive à bien maîtriser son vélo pour ne pas tomber à pleine vitesse, il ne peut néanmoins éviter la chute. Après 50 kilomètres de course, et alors qu'il en reste quasi 100, me voilà donc seul, en tête.
S'il y avait une situation que je n'avais pas imaginé, c'était sans doute bien celle-là. Et, à vrai dire, elle n'est pas pour me réjouir. Certes, le parcours est très condensé aujourd'hui. Mais cette partie du parcours Markstein - Bannstein - Firstplan - Wasserbourg, j'aurais préféré la faire dans l'inertie d'un groupe. Histoire d'en garder pour l'enchaînement qui s'annonce terrible Petit Ballon - Platzerwasel. Sauf que là, je n'ai pas le choix : je dois rouler seul. A voir ce que l'avenir me réservera...
Je m'applique donc, dans la descente du Markstein, pour rouler vite sans perdre trop de force. En gravissant le Bannstein, je suis rassuré par l'état de mes jambes : ça avance encore bien. Le Haag est digéré. Reboosté par les nombreux encouragements à mon nom sur le parcours, j'avance vraiment bien. Pour l'instant, mon objectif est clair : arriver à Osenbach. C'est là, à la fontaine, qu'Yvon (membre de l'ECC qui nous avait emmené en stage en début d'année) m'a promis de m'attendre avec mes 2 bidons donnés la veille. Et sans faute, dans le village, il est là. Je m'arrête, et je pense sincèrement que ce pit stop pourrait concurrencer les meilleurs écuries de F1 : j'échange mes bidons vides contre ceux pleins avec Yvon, tandis qu'un ami à lui me déverse une gourde d'eau dans le dos. A peine soufflé que je suis déjà reparti, remis en route par la poussette d'Yvon. Ce n'est pas juste mes bidons que je viens de reremplir : c'est toute ma motivation qui en est reboosté. Quand des personnes font autant pour toi, tu ne peux pas t'arrêter...
Me voilà donc reparti dans le Firstplan. Ces routes, maintenant, je les connais par coeur. Chaque pourcentage, chaque virage, tout : ce sont mes routes d'entraînement. Les faire en course, c'est comme un rêve. Néanmoins il faut que je reste concentré : concentré pour garder des forces. C'est l'idée que j'ai jusqu'au sommet. Et toujours personne qui revient de derrière : étrange... En tout cas, je profite de mes connaissances du terrain pour faire une descente à toute vitesse, avant d'entamer la remontée sur Wasserbourg. Vent dans le dos, ça avance encore bien. Je regarde l'heure : je suis dans le bon timing sur le temps du vainqueur de l'an passé. Tout est au vert : il ne reste plus qu'à être costaud pour ce qui vient. 
Sauf qu'arrivé dans Wasserbourg, la chaleur se fait ressentir. Je me rappelle des paroles de Julien : "Wasserbourg, c'est un four". Elle résonne en moi. Wasserbourg... four... wasserfour. Et ces pourcentages... ça y est, la fissure est là : le premier coup de mou physique. Et à peine ouverte que mon démon se glisse dans cette ouverture : le coup de mou devient mental. "C'est terrible". "Jamais je n'arriverais en haut". "Dire qu'il y a le Platz après". "Je vais me faire avaler par mes concurrents"... Pourtant, je lutte. Je respire. Je me dis que c'est facile. Et puis je pense au prochain objectif. "Raisonne par étapes, Paul". Le prochain, c'est ma soeur et mes parents, qui sont censés venir m'encourager au Petit Ballon, sans doute à l'auberge du Ried. Sauf que je ne les y vois pas. Ni au virage pinot. Peut être ces marcheurs ? Toujours pas. Le moral en prend encore un coup, et même le fait de ne voir personne au loin dans les épingles finales du petit ballon derrière moi ne suffit pas à me rebooster. Enfin, j'arrive en haut : c'est finalement là que se trouve ma famille. Je récupère deux nouveaux bidons, réponds à mon père "c'est dur" quand il me demande si ça va. Mais je vais mieux. Les encouragements au sommet m'ont fait du bien. Le début de la descente aussi. Je m'encourage moi-même : "allez Paul". Plus que le Platz. Plus que ce foutu Platz.
Encore une fois, je réalise une belle descente. Un peu trop rapide, car j'y perds un bidon. Qu'importe, il ne reste "plus que 30 kilomètres". Sauf qu'il faut encore monter un nouveau monstre, ce terrible Platzerwasel. Tellement irrégulier, tellement démotivant par sa largueur. Pourtant, en bas, ça va encore bien. Sauf que ça ne dure pas. Après à peine 1 kilomètres et demi de montée, je tape la tête sur les gros pourcentages du col. Et il en reste plus de 7...
C'est alors une lente agonie. Je ne monte même plus à la vitesse où je vais en endurance. A chaque replat, j'arrête presque de pédaler. Je demande grâce. Pitié. Je m'arrête même au niveau d'une épingle, à un ravitaillement, boire un peu d'eau à la grenadine. Plus par lâcheté devant ce qui m'attend que par réel besoin... Je n'ai aucune idée d'où sont mes concurrents, j'attends qu'il me croque tout cru. La seule compagnie que j'ai, c'est mon motard qui m'ouvre la route, qui doit s'arrêter m'attendre tous les 500m. Enfin, dans une pénibilité extrême, je me hisse à la fin de ce dernier kilomètre interminable, à plus de 10%, du Platz. Au sommet, quelqu'un (sur le coup je ne le reconnais pas, j'appris après que c'est Quentin Biechy) me donne les mots qu'il faut : "tu vas jusqu'au bout aujourd'hui, tu ne lâches pas". Il a raison, je ne peux pas là. Je n'ai pas le droit. Ce ne doit pas être dans mon champ des possibles. En pensant à ça, j'arrive à me hisser au sommet du Breitfirst... et j'ai d'un coup la bonne surprise de voir ma famille qui me suit en voiture ! Démuni, je leur demande où sont mes adversaires. "Loin, loin! 8 min en haut du Petit Ballon !". Je calcule dans ma tête. Même en montant vite, mes concurrents ne peuvent pas m'avoir repris plus de 5 minutes dans la montée. Il faut donc que je ne perde pas plus de 3 minutes avant le Markstein, et après c'est bon, plus que de la descente ! Allez, ça peut le faire !
Mais les péripéties ne sont pas finies. Alors que je rejoins les crêtes, ma chaîne se bloque, encore. Sans doute que la butée haute est mal réglée, car la chaîne s'est coincée entre le dernier pignon et le cadre. Mais vraiment bien coincée. Je dois tirer dessus comme un forcené pour qu'elle sorte : pitié qu'elle ne pète pas... Ouf, j'y parviens. J'ai perdu une petite minute dans l'affaire, mais l'essentiel est là : je peux rallier la ligne d'arriver. 
Enervé par l'incident, je relance fort pour me remettre dans le rythme, et là... crampes. Aie. Ma cuisse droite est tétanisée. Elle m'avait déjà fait quelque signe en bas du Platz, mais la douleur était partie. Maintenant, je dois composer avec cette nouvelle donnée. Banni les relances donc, et je prie pour que mon muscle me laisse continuer. En passant devant la station du Markstein, je veux m'étirer la cuisse en roulant : mauvaise idée, l'ischio crampe aussi. Deuxième aïe. Heureusement que la descente arrive...
Celle-ci, que j'ai vu toute la course comme une formalité, me paraît interminable. Une descente qui ne descend pas... Les kilomètres n'avancent pas, et j'ai encore peur de me faire rejoindre par derrière. Moi qui suis si léger, je peux perdre un temps fou ici ! Je pédale gonflé à la hargne, et, pour une fois, à la victoire. "Je vais la gagner, merde! Allez, allez ! Roule, il te reste plus rien !"
Enfin, la pente augmente, et je peux faire un peu de roue libre. Je dévale à plus de 60 à l'heure. D'un coup, je reviens à la civilisation après tant de temps seul sur la route. Au lac de Kruth, c'est l'affluence. Des cyclistes de la rando mais aussi du parcours 100km arrivent. Je dois slalomer entre eux, tout comme la voiture de mes parents, pris dans la circulation. Eux qui sont venus exprès, ils vont louper mon arrivée. Après un dernier virage, entre 2 cyclistes de la rando, je franchis la ligne presque dans l'anonymat, lève les bras tout de même, et crie un bon coup. Evacuer tout le stress que je m'étais mis aujourd'hui. Et puis me rappeler qu'il y a 2 ans, si on m'avait dit que je terminerai là...


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